Ecrasante folie mégalo, quintessence du génie des hommes, chaudron palpitant de lave scintillante, célébration du capitalisme dévorant, berceau génétique de la beauté et de la connaissance.

New York.

New York, qu’on prend comme une dose, qu’on encaisse comme une droite, New York qui nous laisse sur le trottoir, raide dingues, éperdus et épuisés.

Nous y sommes venus par le ferry de Staten Island. Le ferry orange des travailleurs, des ouvriers du New Jersey, des gueules hagardes, tard le soir, sous les néons déglingués, après le boulot, quand ils rentrent au bercail, loin de la fourmilière. Le ferry qui ce matin s’approche lentement du sud de Manhattan, qui salue au loin la statue de la Liberté, qui laisse grandir la skyline, l’horizon déchiré de gratte-ciels, qui nous laisse enfin à quai, au pied des montagnes de fer et de verre. Nous levons les yeux au ciel, petite ligne bleue entraperçue entre les cimes. Nous sommes entourés de géants, comme mille êtres humains autour de nous qui nous contournent comme le torrent embrasse les rochers. New York nous a avalés.

Il faut vous dire d’abord.

Nous sommes quatre : Olivier, son fils Theo, mon fils Marius et moi-même. Une semaine à passer, les deux grands potes et leurs gosses de quatorze ans. Nous logeons dans le New Jersey, à West Long Branch, à une heure et demie de la Grande Pomme.

West Long Branch, donc. Petite ville universitaire, tout à côté de Long Branch tout court et d’Asbury Park. Ca a un sens, pour moi, c’est le Monmouth County, il fait partie de ma mythologie, Freehold aussi, la « Hometown » de Springsteen, dont j’usais la chanson à force d’écoute répétitive. Toute une partie de ma vie rêvée, ce coin du New Jersey, ces banlieues résidentielles aux maisons de bois colorées, aux pelouses au cordeau, aux pick-ups massifs garés dans les allées. Aux drapeaux étoilés sur des mats plantés face aux porches. L’envie cliché d’un bourbon à siroter « straight », assis sur un rocking chair sous l’auvent. L’océan, tout proche, le Pier, estacade ricaine, lieu de rencontre et de vie, où l’on se promène, où l’on se montre, où l’on se divertit.

Du cinoche en plein, bien sûr, mais le cinoche, c’est mon ADN, et je suis vraiment heureux de partager ça avec Marius. Nota bene, lui faire écouter « My hometown ». Le Boss sera toujours le Boss et mon fils doit connaître le Boss.

Cette semaine durant, le New Jersey, le Garden State, sera notre port d’attache, notre havre loin de la furie, les moments de calme nécessaire pour profiter de New York sans retenue, pour se livrer à elle avec les esgourdes grandes ouvertes et les yeux bien écarquillés..