A voir la folle envolée des prix des grands crus classés, à constater la passion énamourée des châtelains pour l’œnologie moderne ou les critiques messianiques, à pleurer sur les vignes écrasées de chimie, à verser à l’évier ces crus bourgeois asséchés qui te font serrer les mâchoires, à rager contre les carillonneurs ridicules classés A, j’en ai fini par rejeter tout un païs comme on envoie paître un emmerdeur qui a trop poussé bobonne dans mes orties. Et pourtant, ce carillonneur m’a offert un jour une belle émotion, à sonner son Angélus im-payable et pourtant divin. Et pourtant, ce Pontet-Canet* sait, millésime après millésime, m’envoûter comme un chamane amazonien. Et pourtant, ce Grand Corbin Despagne* a su, lui, me prouver qu’on pouvait être de grande classe et ne pas rêver outre mesure aux délires consuméristes chinois.
Vraiment, qu’elle vienne de Bordeaux ou d’ailleurs, quand une bouteille pète largement plus haut que son cul, ça me fait vraiment râler parce que le vin, à mon sens, est affaire de respect. Il ne faut pas que les propriétaires, qu’ils soient vielle famille de noblesse terrienne, compagnies d’assurances, financiers ou grands groupes de luxe, oublient de respecter celui qui, in fine, le boira, ce jus si éphémère.
Mais de qui parle-t-on, finalement ? De quelques-uns, sans plus.
Parce qu’il est temps de se souvenir. Il est temps de se réjouir. Laissez parler les sans-grades. Egarez-vous, un peu. Prenez les départementales qui vous mèneront en entre-deux-mers, dans les côtes, en Montagne ou à Blaye. Paressez en bord de Gironde, reposez vos yeux sur les collines du Libournais. C’est une autre histoire qu’on vous racontera là. Une histoire de vignerons. Comme partout en France.
Allez donc goûter les vins limpides de Turcaud, les jus éclatants d’Olivier Cazenave* ou de Thierry Valette au Clos Puy Arnaud. Trempez vos lèvres dans les rouges séveux de Bel-Air la Royère ou de Peybonhomme les Tours*. Tentez leurs blancs aussi, d’ailleurs, ou le clairet de Pénin*. Essayez, pour voir, la cuvée Colline du château Courrèges, et dites-moi qu’il ne s’agit pas là d’un grand cru. Buvez, pour finir, un Emilien du château du Puy*, et vous verrez que le terroir a ses raisons que la raison ignore. Il en existe mille autres comme ceux-là, qui font que Bordeaux est et restera une campagne de paysans et qu’il nous faudra con-tinuer à la célébrer à coup de bonnes lampées franches et jouisseuses.
*bouteilles d’ailleurs dégustées entre autres lors d’une mémorable soirée orchestrée par Marc Roisin de Vinogusto en octobre 2017 au nouveau bar à vin Wine Tales place de Londres à Ixelles, grâce lui soit rendue.
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