Lors d’une première rencontre post-COVID avec la presse spécialisée belge, Bernard Farges, le président du CIVB (le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux) a transmis un message fort : Bordeaux croit en son avenir ! La place bordelaise n’a pas attendu les gelées ou les étés caniculaires pour préparer le futur. Qu’on se le dise !

Depuis 10 ans déjà, le CIVB mène différentes réflexions en partenariat avec des centres de recherche universitaires. Certaines pourraient initier des changements révolutionnaires pour les consommateurs de vins de Bordeaux, notamment avec l’arrivée de nouveaux cépages dans les assemblages traditionnels.

Le changement climatique a un impact sur l’environnement, nous le savons tous. Pour la vigne, cela se traduit entre autres par des raisins mûrs de manière plus précoce, des arômes qui évoluent et aussi des degrés d’alcool plus élevés. Un simple exemple : les vins du Médoc du millésime 2018 ont gagné en moyenne un degré d’alcool par rapport au millésime précédent. C’est énorme.

Alors que faire ?

Le CIVB a travaillé dans l’anticipation et n’est pas resté les bras croisés. Depuis 2009, une étude scientifique cherche à évaluer l’intérêt de recourir à des cépages non-bordelais afin d’atténuer l’impact du changement climatique sur la production viticole locale. Et on a visé large car l’étude a porté sur 52 cépages (dont des cépages allemands, bulgares, espagnols, français, géorgiens, grecs, italiens, portugais et suisses).

Mais le goût de mon Bordeaux va changer alors ? Ce n’est pas dit … car l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin a poussé le bouchon plus loin. Les chercheurs ont vinifié une vingtaine de cépages afin d’évaluer leur potentiel organoleptique sur trois millésimes consécutifs (2015, 2016 et 2017). Vous et moi, c’est que nous recherchons finalement : des sensations gustatives et surtout … olfactives.

Voici la bonne nouvelle. Pour les cépages blancs, le Liliorila (un croisement des cépages Baroque et Chardonnay, mis au point par un basque en 1956) présente une typicité aromatique et gustative proche du Sauvignon blanc et du Sémillon (les deux principaux cépages blancs du bordelais). En revanche, pour les cépages noirs, la situation semble moins tranchée pour l’instant en raison de l’effet ‘millésime’ mais les chercheurs sont enthousiastes et ils poursuivent leurs expériences.

Et Ensuite ?

L’Organisme de Défense et de Gestion des appellations Bordeaux et Bordeaux Supérieur a pris la balle au bond et autorise depuis mars 2021 l’utilisation de six cépages parmi les 52 testés : l’Arinarnoa, le Castets, le Marselan et le Touriga nacional (raisins noirs) et l’Alvarinho et le Liorila (raisins blancs), en complément des cépages traditionnels de Bordeaux. La réglementation limite actuellement l’encépagement des exploitations à hauteur de 5 % et permet un assemblage final avec un maximum de 10 % parmi ces six cépages.

Qui sait ? On trouvera peut-être à la fin de l’année prochaine des Bordeaux ou Bordeaux supérieurs avec un assemblage inédit : 45 % de Merlot, 45 % de Cabernet sauvignon et … 10 % de Touriga nacional. C’est le cépage emblématique de la région du Douro au Portugal, c’est le plus raffiné, le plus apte à remplacer un des trois grands cépages noirs à Bordeaux. Petit bémol cependant pour les consommateurs que nous sommes : comme la mention d’un cépage (ou des assemblages le cas échéant) n’est pas obligatoire sur les étiquettes, nous n’aurons aucune certitude concernant la présence d’un nouveau cépage. C’est un peu dommage en soi mais nous nous réjouissons de découvrir l’an prochain ces ‘nouveaux’ Bordeaux en bouteille.

Responsabilité sociétale des entreprises : tarte à la crème ou volonté farouche ?

Les viticulteurs bordelais ne participent peut-être pas encore aux marches contre le changement climatique mais le CIVB leur trace la route. Bernard Farges a utilisé l’expression ‘Responsabilité Sociétale des Entreprises’ ou RSE en abrégé. Il fallait oser le faire ! Dans le passé, certaines multinationales ont usé et abusé de ce concept. Pour certains observateurs, il en avait même perdu toute crédibilité. Le CIVB est déterminé à travailler dans le concret, la transparence et la visibilité. Bravo !

Autour du slogan ‘Bordeaux, Cultivons Demain – Pour un vignoble engagé’, le CIVB veut mobiliser l’ensemble des viticulteurs bordelais. L’objectif est clair : devenir la 1ère filière viticole mondiale qui s’engage collectivement dans le développement durable. Avec un objectif chiffré ambitieux : 60 % des surfaces viticoles engagées dans ‘Bordeaux, Cultivons Demain’ d’ici 2030. Parmi les initiatives concrètes, nous en avons retenu deux : le CO2 généré par la fermentation alcoolique sera transformé en bicarbonate de sodium et le remplacement des caisses de vin en bois par des boîtes en carton est aussi un projet … dans les cartons.

Un marketing surfant sur la vague féministe ?

Malgré la reprise des exportations depuis un an (notamment vers la Belgique), Bordeaux reste conscient de sa fragilité et va mettre les petits plats dans les grands en termes de communication. Chez nous, le message devra en revanche encore être un peu affiné et ne pas surfer sur des effets de mode en lien avec l’actualité au sens large. L’initiative ‘Où sont les femmes ?’ fait partie de la campagne de promotion des vins de Bordeaux en Belgique. L’initiative qui fait intervenir à la fois des cheffes belges et des vigneronnes bordelaises m’a semblé un peu trop ‘trendy’.

En bref

La place de Bordeaux est bien consciente des prochains enjeux. Elle veut garantir la typicité et la qualité de ses vins via des travaux de recherche en viticulture tout en développant une conscience environnementale aigüe. La promotion des vins de Bordeaux doit encore vraisemblablement s’affûter quelque peu. Pourquoi ne s’articulerait-elle pas de manière opportune autour de ces nouvelles initiatives qualitatives et environnementales ?

Hmmmm, je vais me servir là-dessus un petit verre de Bordeaux blanc. Et je dis : santé à tout le monde !