Je vous rassure. Vinogusto n’est pas tombé dans les romans à l’eau de rose. Nous restons dans le vin divin, pas de compromission à cet égard !

Si je dis ‘Portugal’, vous serez vraisemblablement nombreux à songer à votre prime jeunesse : un verre de Porto (à l’apéro chez les grands-parents le dimanche midi) ou une bouteille de Matéus, ce vin rosé légèrement perlant, consommé lors d’un dîner dans un restaurant asiatique (avec vos parents, peut-être cette fois-ci). Dans les deux cas de figure, votre souvenir ne doit pas être impérissable … Rebattons les cartes, faisons table rase du passé !

Le Portugal est un pays de mosaïques. D’abord, celles en pierre bleue, les fameux ‘azulejos’. D’une couleur bleue marine, comme celle de l’océan atlantique. Océan qui a façonné et pétri le peuple portugais et son vignoble par la même occasion.

Un peu d’histoire en guise d’apéritif

Les portugais cultivent la vigne depuis des millénaires (on peut remonter jusqu’aux Phéniciens) et ont été des précurseurs à bien des égards. La vallée du Douro est la première région viticole au monde à avoir été réglementée, dès 1756. Au XVIIIème siècle, le négoce du vin de Porto se développa grâce aux investissements britanniques mais l’arrivée au pouvoir de Salazar au début du XXème siècle régula de manière autoritaire la production viticole nationale (et pas seulement ce joyau agricole), avec notamment l’apparition de multiples coopératives locales sous l’emprise de l’État et de nombreuses autres restrictions imposées aux vignerons. S’ensuivit une période d’indolence, pour ne pas dire de nonchalance. Le Portugal du vin s’est-il alors avachi dans la facilité et l’immobilisme ?

Ce ne sont pas les locaux qui évoqueront la situation eux-mêmes car elle les plonge dans un passé pas si lointain, qui inévitablement a laissé des traces. La révolution des œillets en 1974 (qui a entraîné la chute de Salazar et de son système agricole archaïque) a permis au Portugal d’entrer dans une nouvelle ère et de moderniser ses pratiques viticoles.

Sans tourner le dos aux traditions des générations précédentes, une nouvelle vague de vignerons a pris pied dans le vignoble et a mis en place des techniques plus modernes. L’entrée du Portugal au sein de l’Union européenne en 1986 fut assurément l’élément déclencheur du renouveau. Dans les années 1990, des subventions massives de l’UE ont donné une assise financière aux efforts de la nouvelle génération de viticulteurs. Les investisseurs nationaux, et ensuite étrangers, ont suivi.

Quelques chiffres

D’après les données officielles de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), le Portugal est le 11ème producteur mondial de vin et le 10ème en termes de volumes exportés. La production s’élève à 640 millions de litres en 2020 pour une consommation nationale annuelle de l’ordre de 460 millions de litres. À titre comparatif, la Belgique a produit en 2020 1,9 million de litres de vin et en a consommé 260 millions (bon, en Belgique, on boit encore beaucoup de bière). Le Portugal compte 31 Appellations d’Origine Protégée (la nouvelle terminologie européenne, qui remplace les anciennes AOC) et 14 IGP (indication géographique protégée), les deux catégories répondant chacune à des normes différentes de production, d’encépagement, de rendement à l’hectare, … (plus exigeantes pour les AOP, évidemment).

Tordons le cou à quelques idées reçues

Contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser, on ne produit pas de Porto dans la ville du même nom. C’est dans la vallée du Douro, à une centaine de kilomètres à l’est, que se trouvent les vignobles qui donnent naissance à ce vin muté. Relevons qu’y sont produits depuis quelques décennies déjà d’excellents vins blancs et rouges, qui ne sont pas destinés à devenir du Porto.

Au nord-ouest de la ville de Porto se situe l’appellation ‘Vinho verde’ dont la capitale est, en fait, Porto. Comprendra qui pourra … Le nom fait référence à la fraîcheur des vins qui y sont produits (pas à leur couleur), principalement du vin blanc mais aussi du rosé et du rouge. Produire du vin rouge dans une appellation qui veut dire ‘vin vert’, c’est un peu bizarre. Vous en conviendrez 😊.

Plongeons dans le vignoble

Chose exceptionnelle : on fait du vin partout au Portugal, dans toutes les régions. Du nord au sud. Du sud au nord. Et également à Madère et dans les Açores.

Les portugais revendiquent le nombre incroyable d’environ 200 cépages autochtones ou indigènes. À un tel point que certains vignerons portugais sont parfois incapables de dire avec exactitude quels cépages sont plantés dans leurs parcelles. Bluffant, non ? Les cépages dits internationaux comme le Chardonnay, le Sauvignon ou le Merlot y sont quasiment inexistants alors qu’ils sont cultivés partout sur la planète.

En fait, le pays dispose de la plus grande variété de cépages autochtones au monde. Sur papier, la France possède un nombre légèrement inférieur de cépages indigènes mais dans les faits, très peu d’entre eux sont cultivés. Il est établi que les 10 premiers cépages représentent un peu plus de 70 % de la production française. À eux seuls, la Grenache, le Merlot et l’Ugni blanc correspondent à 35 % des surfaces viticoles chez nos voisins français.

Malgré l’immense diversité des cépages portugais, il y en a un qui sort franchement du lot : le Touriga Nacional. Ce cépage est en train de s’exporter aux quatre coins de la planète : en Afrique du Sud, en Australie, au Brésil, aux États-Unis et plus près chez nous … à Bordeaux. Le cépage en question ressemble au Cabernet Sauvignon, le grand cépage bordelais qui permet de produire des vins de garde dans les appellations prestigieuses telles que Pauillac, Saint-Julien, Saint-Estèphe, …

Sauf que la maturité du Touriga Nacional est plus lente, ce qui a suscité l’intérêt des viticulteurs bordelais. L’explication est simple : un raisin qui est mûr plus tard, est potentiellement gorgé de moins de sucre et le degré d’alcool du vin est lui aussi moins élevé.  Qui plus est, ce cépage permet d’élaborer des vins d’excellente qualité. Les vins peuvent être complexes, structurés, très colorés et aptes au vieillissement. Un petit conseil à donner à mes amis bordelais : fonce, Alphonse !

Quatre régions viticoles en quelques mots

Vinho verde

Particulièrement appréciés par temps chaud et sur le temps de midi, les blancs de cette appellation sont traditionnellement peu alcoolisés, frais et vifs. Le cépage Alvarinho permet de produire un vin blanc sec et corsé, qui nous renvoie à des arômes de fruit jaune, comme l’abricot ou la pêche. La version rouge est peu exportée et plutôt destinée à une consommation locale. Il se boit frais, c’est un vin léger et désaltérant. Les locaux le boivent accompagné de sardines grillées.

Douro

La région du Douro a été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2001. C’est la région viticole portugaise la plus connue en raison de la production de Porto dont nous vous avons déjà parlé lors d’une visite de quelques adresses appartenant à la famille Symington. Dans la région, la vigne est cultivée en terrasses, construites par l’homme, avec parfois des dénivelés de 700 m en direction du fleuve. Le Porto a longtemps fait de l’ombre à la production des vins tranquilles (rouges ou blancs). Les rouges sont parfois assimilés aux vins de Bordeaux : arômes de fruits rouges ou noirs, avec une belle persistance en bouche. Pour les blancs, le contraste entre la texture veloutée et l’acidité assez vive étonne et charme.

Dao

Cette région est en train de connaître un véritable essor, plus particulièrement en dehors du Portugal. Le Touriga Nacional y est cultivé et donne des vins aux notes rondes et vanillées. Toute proportion gardée, l’équilibre entre les saveurs, la teneur en alcool et l’acidité fait songer parfois à des jolis vins de Bourgogne. Nous sommes clairement plus dans la subtilité que dans le matraquage tannique ici. Les vins blancs sont aromatiques et fruités, avec une jolie acidité qui donne beaucoup de fraîcheur en bouche.

Alentejo

Cette région, surnommée le grenier du Portugal en raison de son énorme production agricole, produit à la fois des vins rouges qui peuvent être charpentés et des blancs souples et floraux. L’Alentejo a particulièrement bénéficié des aides européennes : le contrôle technologique de la température en phase de vinification s’est révélé salvateur dans les cuveries. La région produit aussi du liège et du porc ibérique tout aussi savoureux que la Pata Negra espagnole et nettement moins cher.

Les goûts et les couleurs

L’utilisation croissante à l’échelle mondiale des cépages dits internationaux (la famille des Cabernets, la Syrah, le Sauvignon blanc, la famille des Pinots, le Chardonnay, …) a inévitablement uniformisé le goût des consommateurs que nous sommes et a donc, d’une certaine manière, formaté notre palais. Notre bouche n’est pas nécessairement habituée à certaines flaveurs en termes de puissance, d’équilibre, de vivacité ou encore d’acidité. Restreindre la consommation des vins portugais à une visite en Lusitanie serait quelque peu limitatif mais nous sommes convaincus que la dégustation d’un vin du Douro lors d’une escapade œnotouristique dans la région laissera immanquablement des souvenirs fantastiques aux heureux touristes. Imaginez-vous, assis par un beau temps ensoleillé à une terrasse qui surplombe le fleuve et le magnifique vignoble, un verre de vin blanc à la main. Qu’espérez de plus ici-bas ?

En bref

Le vignoble portugais est une gigantesque mosaïque, en termes de cépages et de terroirs. Cela dit, il nous semble que les viticulteurs ont encore un peu de chemin à faire par rapport à la précision des vinifications et des élevages. Certains vins nous ont paru parfois un peu ‘stéréotypés’, ou pour le dire autrement, des caricatures du joli vin qu’ils auraient pu devenir si l’intervention de l’homme avait été plus judicieuse. L’utilisation de la barrique (tant en rouge qu’en blanc) est parfois inappropriée et apporte un caractère boisé qui alourdit le vin, le rend un peu pataud.

Nous avons été élevés à l’école des vins français. Les vins portugais viennent clairement bousculer certains repères, certaines habitudes gustatives. Mais soyons aventuriers, prenons le large, voyons le vin sous un autre angle. C’est une question de curiosité, tout simplement.

La très bonne nouvelle, c’est qu’il y a moyen de faire des découvertes grandioses sans pour autant casser votre tirelire. Entre 10 et 20 EUR, on peut trouver des flacons à tomber par terre. Votre moitié vous aidera à vous relever, si tant est qu’elle n’a pas roulé sous la table, elle aussi.

Ah, j’allais oublier … ‘Mon amour, ne me quitte pas’, c’est le nom d’un cépage portugais. Amor-não-me-deixes. Ils sont romantiques ces lusitaniens …

Quelques suggestions de vins

Et pour passer à la pratique dès maintenant, voici quelques vins portugais découverts récemment chez Sol ArPortugal Vineyards ou même Delhaize.

Lagar de Darei 2019 – Dão Blanc

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