Le restaurant Senzanome

Le restaurant ‘Senzanome’, situé à Bruxelles sur la place du Petit Sablon, est déjà connu depuis longtemps par les fines fourchettes qui apprécient la cuisine italienne. La maison de bouche de Giovanni Bruno a été sacrée meilleur restaurant italien en Europe (hors Italie) en 2011 et 2012. Et depuis janvier de cette année, il a été nommé 13ème meilleur chef italien du monde par le guide 50 Top Italy, qui classe chaque année les 50 meilleurs restaurants du genre à travers le globe. Les traditions culinaires de la Botte sont revisitées avec brio et modernité par le chef Bruno.

Le cadre est d’une sobriété chic, qui évoque le design transalpin, avec ici et là des touches japonisantes. C’est un secret de polichinelle : Giovanni Bruno apprécie particulièrement la cuisine japonaise. L’architecte d’intérieur qui a pris en charge la rénovation des lieux a parfaitement intégré la volonté du maître des lieux. La finesse des plats proposés, leur raffinement, leur justesse trouvent un merveilleux écho dans ce nouvel habillement intérieur. Justesse des volumes, des couleurs, des décorations murales, voilà exactement le mot qui vient à l’esprit : ‘justesse’.

Le restaurant n’a peut-être pas de nom mais le sommelier, lui, s’appelle Brad.

Rencontre avec Brad, le sommelier du Senzanome

Nous commandons un apéritif et le fringant Brad se présente à nous ensuite. Son allure juvénile me rend un peu perplexe mais soyons de bon compte, donnons-lui une chance. D’emblée, je lui signale poliment que j’ai souvent été déçu par les accords ‘mets-vins’ proposés par les sommeliers dans les restaurants gastronomiques. Le jeune homme écoute mon discours et fais mine d’acquiescer. « Prenez connaissance de la carte des vins et je suis à vous dans 5 minutes ».

Je consulte ladite carte, en prenant mon temps. Lire la carte des vins dans un restaurant de standing est toujours révélateur de l’intelligence du sommelier. Ici, elle est franchement lisible. Nous voyageons dans le vignoble italien pour des prix tout à fait corrects. J’identifie un Verdicchio di Castelli di Jesi et un Lugana en blanc (mon cœur balance entre les deux). Je remarque aussi un Langhe rouge 100% Nebbiolo, le cépage qui produit les grands vins du Piémont (Barolo et autre Barbaresco).

Brad revient à notre table. « Vous avez raison, Monsieur, les clients sont souvent désappointés par les accords ‘mets-vins’ proposés dans certaines maisons de renom ». Et le sommelier d’enchaîner : « Cette semaine, des clients m’ont dit leur déception dans des restaurants étoilés à Bruxelles ». Je bois ses paroles.

« En revanche, ils ont été convaincus par la sélection que je leur ai proposée cette semaine » continue-t-il, sur un ton posé et confiant. Le gaillard assure véritablement, sans aucune arrogance. Je lui demande quelques infos sur les vins de l’accord ‘mets-vins’ qu’il propose ce soir.  « Uniquement des vins italiens, bien sûr. Des vins originaux, inhabituels, vous serez étonnés et ravis », lance-t-il.

Mon épouse me fait un clin d’œil. Je traduis : faisons confiance au sommelier. Je lui donne le feu vert pour les accords qu’il va nous proposer. Brad sourit même s’il voit que je reste encore légèrement dubitatif. « Si après deux verres, vous n’êtes pas convaincus par ma sélection, je vous apporte la carte des vins », avance-t-il avec aplomb. Oufti ! comme on dit à Liège. Là, Brad vient de marquer 10 points.

Les vins dégustés

Moser Warth Moscato Giallo 2021 | Igt Vigneti delle Dolomiti

Après une farandole colorée de mises en bouche aussi épatantes et savoureuses les unes que les autres, le sommelier s’approche de notre table, une bouteille à la main. Il nous demande : « Francesco Moser, cela vous dit quelque chose ? ». Sans être un véritable amateur de vélo, je pense tout de suite au grand coureur cycliste italien des années 70 et 80. Brad confirme 😊.

Francesco Moser s’est reconverti dans la vigne dans la région des Dolomites. Dans nos verres coule un Moscato giallo (littéralement muscat jaune). C’est un vin très aromatique, il présente un nez de pêche, de pamplemousse. Les parcelles situées à 400 mètres d’altitude apportent une jolie fraîcheur et une belle acidité en fin de bouche. Le mariage avec la Saint-Jacques aux agrumes et à la poutargue fonctionne merveilleusement.

Cantina Giardino Rosato 2020 | Campanie

Le vin qui suit est étonnant à plus d’un titre. Il s’agit d’un rosé nature, à base d’Aglianico (un cépage noir très répandu dans la région de Naples) qui est produit par la coopérative Cantina Giardino. Le vin est pressé sur les peaux, la fermentation alcoolique se fait grâce aux levures indigènes (les levures qui sont naturellement présentes sur la peau des raisins). Le vin est ensuite élevé sur lies (ce sont les levures mortes) dans des fûts de chêne pendant 6 mois. Au nez, la première sensation est déroutante : ce sont des arômes de champignons, voire de moisi qui sautent au nez. C’est parfois le propre des vins natures. Brad nous accompagne dans la dégustation en expliquant bien le pedigree du vin.

Si le nez est déroutant, la bouche nous renvoie des arômes de cerise, de cuberdon. Les arômes tertiaires (liés à l’élevage) décelés à l’olfaction se manifestent plus subtilement en bouche. On part sur des notes animales (cuir) et végétales (champignon). Le vin est particulièrement long en bouche. C’est notre première expérience avec un vin rosé nature. Les explications du sommelier nous ont conquis tous les deux et le mariage avec un tartare de veau à la truffe noire devient d’une rare évidence.

Cascina Alberta Langhe Riesling 2020 | Langhe | Bio

La proposition de Brad avec le plat qui suit va tourner autour de l’amertume de l’asperge. Le Riesling est le cépage roi en Allemagne et chez nos voisins alsaciens. Il est un peu cultivé dans la région du lac de Garde et du Haut-Adige (proche de l’Autriche). Le Riesling dans le Piedmont, c’est un peu plus inhabituel. Le domaine ‘Cascina Alberta‘ travaille en biodynamie avec une conviction ancrée dans le terroir.

Pressé sur les peaux, la fermentation et l’élevage ont lieu dans des amphores en céramique. La porosité des amphores permet des échanges gazeux avec le monde extérieur, comme lorsque le vin est élevé en barriques ou en fûts. Le nez part sur les fleurs blanches. Typique du cépage Riesling, des notes de pétrole viennent chatouiller le nez mais de manière subtile, pas agressive du tout. En bouche, c’est vibrant et bien structuré. C’est donc bel et bien un compagnon idéal pour l’œuf 63° aux asperges blanches et crevettes grises.

Qui est Brad Verbelen ?

Ce jeune homme de 22 ans (oui, vous avez bien lu) a été formé à l’école hôtelière de Namur. Curieux de nature, il s’intéresse au monde du vin quand il est encore en culottes courtes. Dès ses 6 ans, il trempe ses lèvres dans le verre de ses parents. Après sa formation, il commence à travailler en salle à 17 ans au Senzanome. Le travail en salle est une formidable école d’apprentissage. On y apprend beaucoup de choses, en observant le ballet des serveurs et le comportement des clients.

Il a fait ses armes avec Marco, le sommelier de l’époque. Formé à l’école du vin français, Brad a dû élargir ses horizons et se familiariser avec la production viticole italienne. Aujourd’hui, il s’ingénie à trouver des pépites. Son approche est cohérente et franche. Bravo, bravissimo !!!

Brad est véritablement doué car en peu de temps, il est parvenu à intégrer une somme considérable de connaissances théoriques et à affuter ses talents de dégustateur. Devenu sommelier officiel du Senzanome depuis août 2021, il déguste chaque semaine les suggestions de ses fournisseurs, prend des notes et imagine déjà des accords mets-vins. Il anticipe intelligemment les créations à venir du chef Bruno.

Tirade finale

La table du chef Bruno a déjà été saluée à maintes reprises par les critiques gastronomiques. L’étoile au guide Michelin, la note de 16/20 au Gault-Millau et les récentes récompenses dans les guides italiens font partie du parcours de l’inventif chef d’origine sicilienne. À quand une récompense pour le jeune et talentueux sommelier ? À 22 ans, le bonhomme a acquis une solide expérience. Le temps nous le dira mais Brad est promis à un bel avenir. Il est en train de se faire un nom au restaurant ‘qui n’a pas de nom’.

 

Restaurant Senzanome
Pl. du Petit Sablon 1
1000 Bruxelles
+32 2 223 16 17
Senzanome.be