Flûte, coupe ou verre pour le Champagne ?

La période des fêtes est bien là, avec ses réjouissances et ses angoisses de dernière minute. Trouver le cadeau qui fait plaisir pour chaque convive, choisir les menus et les breuvages qui les accompagnent, dresser une jolie table garnie du plus beau des services, rien n’est laissé au hasard, pas même le choix des verres, pour le service du vin, comme celui du champagne. Champagne dont on propose volontiers une petite coupe à toute heure du jour, et certainement de la nuit. On se laisse tenter et acquiesce le sourire aux lèvres, les yeux pétillants. Quelques secondes plus tard, le champagne fait son entrée, servi dans une flûte longiligne, voire même dans un verre à vin, mais pour ainsi dire jamais dans une coupe. Ne cherchez pas la dinde, il n’y a pas de farce ou erreur de langage mais bien une métonymie, cette figure de style qui remplace un concept par un autre avec lequel il est en rapport par un lien logique sous-entendu. Dans le cas présent, la coupe remplace le champagne mais on aurait aussi pu vous offrir une flûte ou un verre, selon le contenant choisi pour vous choyer. Les coupes chez les grands-parents, les flûtes chez les parents et les verres à vin chez vos amis gastronomes les plus pointus, c’est possible, mais pourquoi donc ?

La Champagne produit du vin, effervescent ou non, et si les bulles bénéficient des faveurs du public de nos jours, ça n’a pas toujours été le cas. Les travaux du célèbre Dom Pérignon datant de la deuxième moitié du XVII siècle portaient principalement sur la culture de la vigne, les prémisses des assemblages de différentes variétés de raisin, la clarification du vin mais pas une trace de ses éventuelles recherches sur l’effervescence dans la littérature spécialisée. Le champagne vinifié par le bénédictin d’Hautvillers était un vin tranquille. La mousse fit son apparition en France aux alentours de l’an 1700 alors que les amateurs d’outre-manche appréciaient déjà les vertus de la seconde fermentation en bouteille depuis une trentaine d’années. Le champagne effervescent donc, contrairement à Kate Moss, n’est pas éternel. Il a pris son essor qu’au début du XVIIIe siècle, et c’est seulement au XIXe siècle que les progrès techniques ont permis d’obtenir une mousse régulière à souhait.

La seconde fermentation en bouteille est la marque de fabrique champenoise. La liqueur ajoutée au vin tranquille contient du sucre et des levures. La transformation du sucre en alcool sous l’action des levures est accompagnée d’un dégagement de gaz carbonique. Une partie de ce gaz se loge dans l’espace entre le liquide et le bouchon, le reste est dissout dans le liquide. Lorsque l’on ouvre la bouteille, la poche située entre le liquide et le bouchon s’échappe délicatement, ou fait sauter le bouchon avec panache, selon la dextérité du sommelier. La pression du CO2 dans une bouteille classique atteint les 5 bars, pression suffisante pour éjecter le bouchon à une vitesse pouvant atteindre les 50 km/h. Attention à ne pas éborgner l’oncle Jacky ! Ensuite, le gaz carbonique contenu dans le liquide se libère progressivement dans le verre sous forme de fines bulles remontant à la surface.

La coupe à champagne

La coupe est un verre à boire, en or, en argent, en bronze, en étain ou même en terre déjà très répandu dans la Grèce Antique. Elle est généralement plus large que profonde et posée sur un pied, comme dans le cas du calice par exemple. Mais pour la coupe à champagne, qui fit son apparition au XVIII ème siècle, on préfère le verre ou le Crystal qui permettent d’admirer le breuvage. Contrairement à la légende, la coupe ne fut pas modelée sur le sein de Marie-Antoinette d’Autriche, Madame de Pompadour au d’une autre célébrité de l’époque. En réalité, la coupe a fait son apparition outre-manche dès la fin du XVIIème siècle, et la seule icône dont le sein servit de modèle à la création d’une coupe à Champagne est Kate Moss, mais c’était en 2014, lorsque le mannequin a prêté son sein gauche à un moulage pour la sculpteuse Jane McAdam Freud, descendante du célèbre Sigmund Freud.  Pour ce qui est de Marie-Antoinette, elle a au mieux inspiré le « bol sein » créé par l’artiste Jean-Jacques Lagrenée (1739-1821) et destiné à boire du lait.

La coupe est large et peu profonde, ce qui favorise la perte d’effervescence du liquide qu’elle contient. Et c’était l’effet recherché puisque le champagne était consommé avec un batteur à champagne appelé Moser afin d’éviter les éructations dans le milieux distingués. Habitude encore fréquente au début du XXème siècle, comme le relate admirablement le belge Maurice des Ombiaux dans son ouvrage Le Gotha des Vins de France en 1925 : « Vous voyez dans les restaurants de nuit et autres dancings des êtres à visage blafard qui battent le beau vin doré et mousseux avec de petits bâtons appelés mosers. Ce ne sont pas des amateurs de champagne, ils ne le boivent que par snobisme. […] Les snobs « dernier cri » tirent de leur étui à cigarettes un petit balai d’or ou de platine avec quoi ils agitent le vin pour en faire disparaître cette mousse qu’on a eu tant de peine à cultiver et à conserver dans la bouteille. Mais comme ces gens-là n’ont rien à voir avec la dégustation et la gastronomie, nous ne nous occuperons pas davantage de leurs pratiques hérésiarques qui sentent la barbarie originelle et l’insondable bêtise des fêtards ». Vous l’avez compris, la coupe peut être un choix esthétique mais elle dessert le champagne et convient davantage au service du dessert.

La flûte à champagne

Connue depuis toujours, ou presque, la flûte peine à se forger une place face à la coupe préférée pour ses aspects pratiques. Tout au long du XIXème siècle, elle souffre de sa fragilité, de son manque d’équilibre, du risque de débordement si l’on verse trop vite et de sa difficulté à être nettoyée correctement. De plus, on apprécie l’élégance de la coupe qui est réservée au service exclusif du champagne alors que sa concurrente est utilisée pour diverses boissons. Mais ce ne sont que des reproches mineurs aux yeux de l’amateur. La flûte est nettement plus adaptée pour profiter pleinement des saveurs et de l’effervescence du champagne. D’une part, elle permet d’admirer les fins filets de bulles qui remontent à la surface où elles contribuent au dégagement des arômes. D’autre part, elle limite la perte d’effervescence vu sa surface restreinte. L’hédoniste averti privilégiera donc ce format sans la moindre hésitation, comme l’écrivait également Maurice Des Ombiaux dans son ouvrage Le Vin de 1928 : « Le liquide pétillant y bondissait avec une fougue plaisante à voir, qui faisait monter le diapason de la gaieté. Quand l’amphitryon versait le champagne, on suivait avec émotion l’impétuosité de la mousse, en se demandant si elle allait s’échapper de la gangue de cristal, déborder et se répandre sur la nappe, ce qui arrivait souvent. Puis on prenait plaisir à regarder l’ascension continuelle des bulles qui venaient éclater à la surface en un joyeux murmure. La forme de la flûte était aussi élégante que plaisante. Elle décorait bien la table et, pour tout dire, elle faisait fête. » On veillera toutefois à ce que la flûte soit suffisamment ouverte pour que le dégustateur puisse y loger son nez.

Mais pour que la bulle se forme, quelques impuretés sont nécessaires. Un verre dont le polissage est trop poussé ou dont le nettoyage est trop parfait ne donne aucune mousse. Les bulles se forment parce que les verres ne sont jamais parfaitement propres. Il s’y dépose toujours quelques poussières, en général de microscopiques fibres de cellulose dans lesquelles se niche un peu d’air ambiant. Les molécules de CO2 s’y agglutinent et forment de minuscules bulles qui grossissent à mesure qu’elles s’approchent de la surface. Certains verres sont d’ailleurs volontairement rayés. Ces imperfections garantissent la présence minuscules poches d’air qui garantissent le bullage. Apprécier la qualité d’un champagne par simple observation de ses bulles s’avère des plus hasardeux vu que leur présence et régularité dépend de la présence d’impuretés dans le verre.

Le verre à vin, tout simplement

Vers 1930, on a commencé à utiliser pour boire le champagne un nouveau verre constitué par un récipient en forme d’œuf tronqué à une extrémité, supporté par une jambe pleine allongée. Assez haut pour pouvoir admirer l’effervescence et suffisamment resserré de révéler le bouquet. Ses caractéristiques sont assez proche du verre à vin blanc en verre, ou en Crystal, parfaitement lisse et transparent. Ce dernier peut donc très bien faire l’affaire. Les récipients plus extravagants, en métaux précieux, bien que très élégants, ne conviennent pas car on ne peut observer ni la couleur du vin, ni la finesse des bulles et leur joyeux dégagement. Les verres en cristal taillé, les verres gravés, teintés ou décorés, ont plus ou moins les mêmes inconvénients que les récipients en métal.

Les plus grandes maisons de champagne attachent de plus en plus d’importance au choix du verre et certaines vont jusqu’à faire développer des verres spécialement conçus pour mettre leurs cuvées les plus prestigieuses en valeur lors de la dégustation. Ces verres allient les atouts de la flûte et du verre à vin, pour permettre valeur et la bulle et le bouquet.

Pour les puristes, il est conseillé de conserver les verres dans les placards dans la position debout. Rangés dans l’autre sens, ils prennent l’odeur du matériau ou du revêtement sur lequel ils reposent, même au travers d’un tissu neutre, et ils la communiquent au champagne. Pour éviter que la poussière ne se dépose dans les verres, il suffit de les couvrir d’une serviette en tissu inodore.

Signalons finalement l’existence d’un verre à champagne particulier, le pomponne, qui ne peut se tenir par la jambe car il a la particularité de ne pas en avoir. Avoir son pompon, ou être pompette signifie que l’on est ivre, ce qui peut bien arriver avec un verre sans pied que l’on est obligé de vider faute de pouvoir le reposer. Et pour les fans de gobelets en plastique, qui est une matière hydrophobe, les grosses bulles ont tendance à s’accrocher et à tapisser les parois : fini la belle effervescence.