Je me suis échappé, l’été dernier. J’ai quitté Bruxelles post-attentats, ses tunnels foireux, son piétonnier mal dégrossi et le chantier interminable du boulevard. En quête de paix, j’ai atterri en Toscane, en Maremme exactement, entre Suvereto et Campiglia Marittima. Il n’y a pas de hasard, mais j’y reviendrai.

Ce n’est pas le coin le plus couru de Toscane, on est un peu loin de Florence et de Sienne, un peu loin des plus beaux trésors de la Renaissance. Ce n’est pas grave, ce n’est pas cette fois-ci ce qu’on est venu chercher. On vient simplement courir après un rêve, une promesse de paysage et d’apaisement, de dolce vita souvent usurpée.

C’est l’ami Olivier Paul-Morandini qui nous a convaincus. Quand il parle de sa terre, là-bas, quand il nous en montre quelques photos, un ciel infini qui surplombe les chênes verts, quelques vignes cernées de forêt, il nous a déjà agrippés, tranquillement et certainement. Il sait que nous ne sommes pas les premiers. Sa terre l’a ensorcelé bien avant que l’on songe à y mettre un pied, et puis d’autres encore après lui.

Olivier, c’est un sacré bonhomme, un gars fêlé, comme un Quichotte qui aurait raison de combattre ses moulins. C’est un homme de causes. Il vit pour ça. A l’Europe, à l’époque, il a déjà imposé le 112. Combien de vies…. ? Maintenant, c’est pour le bio qu’il milite et qu’il empêche les eurocrates de dormir en rond. Pour la transparence, plus exactement pour que la culture biologique ait vraiment un sens et ne reste pas qu’un label, qu’une petite feuille verte collée sur une étiquette.

Il aurait pu, je ne sais pas, faire des affaires, faire fortune, il a le charisme, l’intelligence acérée et le carnet d’adresses, mais il a préféré se planter comme un cep tout en haut d’une colline. Sa colline à présent. « Volpaiole », la « tanière des renards », c’est un destin, ce lieu-dit, non ? Une poignée d’hectares de vignes, une bicoque au milieu de rien, à l’écart du tout. C’est comme ça, d’ailleurs, qu’il rebaptise son domaine : « Fuori mondo », « En dehors du monde », et quand on y met le pied, c’est une évidence, mais on n’en est pas simplement à la périphérie, on le surplombe, le monde, il nous paraît soudain apaisé, si calme, là, tout en bas. C’est que ce lieu serait capable de nous réconcilier avec la planète entière.

Pour arriver chez Olivier, on emprunte un chemin de malheur, la voiture peine à imaginer qu’elle gravira la côte abrupte sur ce lacet défoncé. Elle y parvient pourtant, couverte maintenant de poussière comme pour une sorte de baptême, d’onction sèche, on reçoit la bénédiction de la tanière des renards. Dehors, par les fenêtres ouvertes, c’est la garrigue et le fenouil qui nous sautent au nez et nous assaillent, bienveillants, par bouffées de chaleur estivale. Finalement, nous dépassons une vieille Land Rover kaki des années 50 garée devant la maison ,et une Vespa rossa pas bien jeune non plus.

Olivier nous accueille près du chais, enfin, c’est beaucoup dire, rien à voir avec les cathédrales bordelaises, on n’a jamais été aussi proche qu’ici de l’expression « vin de garage ». Il nous fait visiter, des cuves, quelques barriques, rien de spectaculaire, ma chi se ne frega ? Plus tard, il nous emmènera au volant de son 4×4 plus haut encore, sur cette colline plus inaccessible encore où il compte bien planter quelques ares supplémentaires. Débroussailler, d’abord, décaillasser les schistes et, qui sait, convaincre le voisin de démonter cette fichue éolienne qui vrombit et rompt la sérénité ahurissante de ce sommet pelé. D’ici, on voit les îles d’Elbe et du Giglio et, si le vent a soufflé, la Corse même. Je resterais ici, moi. Il faut me bousculer pour me faire redescendre. C’est la promesse des vins qui me convainc.

Olivier en produit cinq, tous excellents. Je ne vais pas vous en faire le descriptif technique ici, sachez simplement qu’ils  enterrent toute idée d’aristocratie fatigante façon bolgheri traditionnels inspirés des parents de Bordeaux. Du bois, oui, mais maîtrisé, et surtout, les jus sont suffisamment intenses pour ne pas se laisser dominer.

Je vous glisse deux vins quand-même. « D’Acco », le vin de soif comme il dit, baptisé d’après les premiers mots de l’héritier haut comme trois pommes, Matteo. 100% alicante, pur plaisir de fruit et de régalade, mais de régalade sérieuse, hein. La longueur est là, l’esprit aussi, ce n’est pas un vin de rigolo non plus. De la soie en bouche qui vous provoque une sorte de salivation forcenée et addictive. Et comme il n’y en a jamais assez, Olivier le met en bouteilles d’un litre.

« Amaë » ensuite, 100% cabernet sauvignon, prenant et passionnant, le genre de boutanche que vous n’oublierez jamais. Pour l’histoire, « Amaë » a terrassé en pirate quelques grands crus classés bordelais bien réputés lors d’une dégustation que j’avais organisée l’année dernière. On cause d’émotion, ici, de médecine mystique même. Le vin apte à panser les plaies et à réparer l’âme.

Au crépuscule et à la nuit, on ne déguste plus, on boit, on dévore la Toscane et le monde, celui qui est resté au-dehors, on en profite pour le refaire. Avec une infinie sagesse évidemment, celle des Quichottes et des ivrognes.


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