Du côté de Bordeaux, certains, plus couillus que d’autres, expriment clairement leur ras-le-bol du Bordeaux bashing, ou dénigrement systématique des vins de Bordeaux. A Bruxelles, les professionnels du vin sont interviewés dans le cadre d’une étude sur le Bordeaux Bashing. Parler de bashing, ça fait tout de suite un peu Calimero, mais on peut certainement parler de désintérêt, voire de désamour. Je ne détiens pas la vérité ni les solutions, mais je tiens à partager quelques observations.

Les vins de Bordeaux n’ont plus la cote ?

Au fait, c’est vraiment vrai cette histoire? On aime vraiment moins les vins de Bordeaux qu’avant? Ben oui, c’est vrai, et je le constate ici et là chez les professionnels comme chez les amateurs. « Bordeaux m’ennuie, tous les vins sont trop boisés, c’est trop cher,… » :  je l’ai entendu dans la bouche des uns et des autres. Attention, je ne dis pas que ce qu’ils disent est vrai, mais c’est révélateur d’une certaine perception, probablement en décalage par rapport à la réalité.

Et puis il y a les pros qui me disent fièrement qu’eux, n’ont rien contre bordeaux, qu’ils aiment bien les vins de bordeaux quand ils sont bons et pas trop chers, que ce sont les clients qui ne s’y intéressent plus. C’est l’oeuf et la poule, qui le premier entre le pro et le conso s’est détourné de la belle, difficile à dire. Mais bon, ils en ont tous eu marre de payer très cher les vins de grands millésimes qui s’enchaînaient et se sont clairement détournés de la région avec les derniers millésimes bof bof…

Mais comme d’hab, on ne peut pas généraliser. Les consommateurs belges n’ont rien contre les vins de Bordeaux. Ce sont des valeurs sûres pour les amateurs d’un certain âge (50 ans et plus) qui se montrent fidèles à la région, notamment durant les foires aux vins et lorsqu’ils vont au restaurant. Et pour les plus jeunes, les vins de Bordeaux sont ces grands vins que l’on boit en famille, chez les parents ou grands-parents. Mais les grands crus de Bordeaux ne sont plus les vins que l’on offre aux amis pour faire plaisir, surprendre, marquer le coup. Nos parents s’offraient des Bordeaux, alors qu’aujourd’hui, à 40 ans, nous nous offrons des Châteauneuf-du-Pâpe, des Côtes Rotie, des Rioja, des Italiens, des Californiens, des grands blancs d’Alsace, des flacons rare de Bourgogne. La Belgique est un marché très ouvert, nous aimons les découvertes et les surprises, et pour dénicher une étiquette inconnue ou surprendre, ce n’est plus vers Bordeaux que nous nous tournons.

Savoir-faire et faire-savoir.

Il y a une grande différence entre la réalité de Bordeaux et la perception ou les croyances des consommateurs. Pour ces derniers, les vins de Bordeaux seraient des vins tanniques, très boisés, à oublier 10 ans en cave avant de pouvoir les boire. Et bien sûr, ce sont des rouges. En réalité, les vins de Bordeaux ont énormément évolué ces dernières années. L’épidémie de sur-boisé est presque éradiquée, et il y a de sacrés bons plans du côtés des blancs, des rosés, des clairets ou des liquoreux (qui ne sont pas tous lourds et hyper sucrés, comme on le pense sans savoir). Et beaucoup de rouges fruités se boivent bien dans leur jeunesse. Et c’est bien là l’un des soucis, certains journalistes et leaders d’opinions pensent savoir. Ils ont goûté intensivement les vins de Bordeaux il y a 10 ou 15 ans, et depuis, ils savent. Et n’ont pas eu l’occasion, ni pris le temps de sillonner à nouveau la région, de goûter les vins d’aujourd’hui.

Tout ce qui est petit est gentil, lisez bon, et tout ce qui est grand, est méchant, lisez mauvais. C’est une mouvance bien marquée et elle ne fait pas les affaires de vins de Bordeaux. En effet, dans la majorité des esprit, le Bordelais est la région des grandes exploitations semi-industrielles, de plusieurs dizaines d’hectares, produisant des centaines de milliers de bouteilles. A une époque où l’on ne croit qu’en les petits volumes, cette croyance est un sacré handicap, qu’elle soit fondée ou pas.

Il en va de même de la perception de la réalité environnementale. On aime le bio, le développement durable, les causes écologistes, le bien manger et bien boire, alors, les sorties dans la presse concernant l’utilisation de pesticides, ou le peu de propriétés en bio ou biodynamie dans le Bordelais n’aident pas à projeter une image en adéquation avec les attente d’une tranche des consommateurs.

Choisir son vin de Bordeaux, ça reste compliqué. D’un part, il y a une multitude d’appellations, et certaines sont si vastes qu’elles disent peu sur les vins, alors que d’autres ne garantissent pas la qualité du vin malgré leurs tailles limitées. D’autre part, les niveaux restent inégaux. Et au sein de chaque appellation, on a l’impression qu’un groupe de vignerons motivés et entreprenants tirent la qualité vers le haut dans un esprit de seine compétition, ils deviennent les moteurs de l’appellation, pendant que d’autres se laissent paresseusement portés par le mouvement, trop vite contents de ce qu’ils proposent aux consommateurs. Résultat pour le consommateur ? Quand on achète un Bordeaux, on a 20% de chance d’être déçu, surtout en grande surface, alors qu’avec un vin du Rhône ou un Chilien du même prix, pas de mauvaise surprise. Et on a pas beaucoup plus d’une chance de faire une bonne première impression.

Les consommateurs aiment le contact avec les producteurs. Et le négoce bordelais ne favorise pas ces contacts, que du contraire. L’image des grands châteaux impersonnels dont les portes sont fermées pour les modestes consommateurs restent donc profondément ancrées dans les esprits, vu que le système de distribution lui-même freine les rencontres.

Des pistes pour inverser la tendance ?

Investir dans le guérilla marketing. Les prescripteurs, les missi dominici comme dit mon judicieux ami Eric Boschman, ce sont les sommeliers, les responsables des rayons vins, les cavistes, les jeunes dans les écoles hôtelières, les acheteurs vins… Leur montrer le nouveau Bordeaux, leur montrer le Bordeaux d’aujourd’hui, leur faire découvrir la qualité et la diversité des vins, c’est un travail de fond, à commencer aujourd’hui pour inverser les tendances, corriger les perceptions, reconquérir peu à peu le coeur des professionnels et puis des consommateurs.

Oublier le tout en un, car ça n’existe pas. Pour conquérir les journalistes, il faut leur montrer ce qu’ils ne connaissent pas. Pour séduire les jeunes consommateurs, montrer que l’on peut faire la fête avec les vins de Bordeaux, sans se casser la tête, c’est probablement une bonne idée. Pour approfondir les connaissances et les ancrer plus profondément, pour gagner la loyauté sur base de l’expérience, les cours et dégustations sont un très bon outils. Mais inviter les journalistes, les blogueurs, les jeunes consommateurs, les amateurs avertis dans un même bar à bière bruyant pour qu’ils y trouvent tous leur compte en matière de vins de Bordeaux, non, ça ne peut pas fonctionner.

Privilégier le long terme sur court terme. Si une campagne d’affichage d’une semaine pouvait radicalement changer la perception d’une région ou d’un produit au point d’inverser les tendances des consommateurs, cela se saurait depuis longtemps, non ? Et quitte à afficher, il faut sans doute opter pour un message clair et pragmatique plutôt que pour l’élégance subtile.

Travailler avec des acteurs locaux et pas des poupées parisiennes. Confier les actions de promotions des vins de Bordeaux à des princesses parisiennes, ce n’est sans doute pas le plus judicieux pour conquérir le coeur des habitants du plat pays. Bordeaux n’est plus arrogant, hautain et fermé? Ok, nous sommes prêts à le croire mais pourquoi nous envoyez-vous systématiquement des jeunes femmes suffisantes pour défendre vos couleurs auprès de nos consommateurs. Si les agences de marketing et communication basées à Paris maîtrisaient le marché belge, ça se saurait, non ? De grâce, si vous souhaitez vraiment ajuster la perception des vins de Bordeaux sur le marché belge, privilégiez les partenaires belges, et surtout, évitez les vieux médias papier qui ne sont pas lus par les moins de 40 ans dont vous cherchez à reconquérir le coeur.

Se serrer les coudes au sein de la filière. Lors de ma dernière visite dans le Bordelais, je me suis amusé à poser la même question à la fin de chaque visite de propriété : « Et sinon, il y a des confrères dans les environs auxquels vous me recommander de rendre visite ? ». Les réponses étaient systématiquement évasives, voire grossièrement stupides, tout pour éviter de donner un coup de pouce au voisin. Avec la même question dans le Rhône ou le Languedoc, le carnet d’adresse se remplit au fur et à mesure des visites, et les vignerons téléphonent aux copains pour prévenir de votre arrivée.

S’inspirer des autres régions et pays du monde. L’Espagne, le Portugal, l’Afrique du Sud, le Rhône, le Languedoc mais également l’Autriche ou l’Allemagne travaillent le marché belge avec plus ou moins de moyens. Peu à peu, ils gagnent des parts de marché. Que font-ils ? Comment le font-il ?

Conclusion

Je n’ai pas LA solution, c’est certain. Mais j’aime les vins de Bordeaux et je pense que la perception actuelle n’est pas en phase avec la réalité. Etre le plus grand et le plus célèbre n’est pas un avantage à une époque où l’on préfère les outsiders. Le Bordeaux Bashing est dans l’air du temps. Toutefois, je pense que Bordeaux peut montrer et démontrer son bon rapport plaisir/prix, par un travail de fond guidé par des objectifs à moyen et long terme.