J’ai rencontré un vigneron atypique, hors norme. Il s’appelle Manuel Olivier et son domaine viticole est situé dans les Hautes Côtes de Nuits, sur les hauteurs de Nuits-Saint-Georges et de Vosne-Romanée. Dans cette région vallonée, le vert de la vigne ondoyante côtoie souvent le rouge et le noir des fruits : framboises, groseilles et cassis. Je vous raconte …

Arrivée au domaine Manuel Olivier

J’arrive. Poignée de main virile et chaleureuse. Manuel est la quatrième génération d’une famille de paysans. Ça se voit et ça s’entend. Il est bien campé sur ses jambes plutôt courtes et musclées. Derrière ses lunettes, ses yeux sont malicieux. Un regard vers son véhicule et il me lance un « on y va? » ponctué d’un clin d’œil. Nous sillonnons ses parcelles. Après 3 ou 4 kms, nous quittons la voiture pour arpenter ses vignes dans l’appellation Vosne-Romanée. La pente se raidit. Je souffre tandis que Manuel sautille comme un bouquetin. Je dois reprendre mon souffle. Nous faisons une courte pause.

« Regarde-moi, ça. C’est t’y pas beau ? » me lance-t-il. Je me penche sur les pieds de vigne, ils sont magnifiques. Les grappes déjà en formation sont à ravir. C’est franchement du travail d’orfèvre. Je devine déjà le futur grand vin. Manuel m’emmène dans une autre parcelle, proche du cimetière de Corboin, là où dorment ses ancêtres. « J’ai tout appris par moi-même. L’école et moi, cela n’a pas vraiment marché. J’ai tout envoyé péter à 18 ans sans terminer ma formation professionnalisante en élevage porcin et bovin ». Manuel a damé des pistes comme saisonnier dans les stations de ski, fait du débardage en forêt, de la traction animale (avec des chevaux et des bœufs), a planté des vignes en Suisse, et j’en passe.

Un pigeon roucoule. Manuel sourit et évoque son coup de cœur initial : dresser des animaux, apprendre aux pies à parler, aux poules à parader, aux hamsters à faire des pirouettes. Il a dû renoncer à cette passion car il devait tout le temps se déplacer pour faire ses numéros de dressage. Trimballer des poules à gauche et à droite n’est pas forcément évident.

Je suis tombé dans le vin avec la chute du mur de Berlin

« J’aurais dû dire merci à Gorbatchev avant qu’il ne s’en aille ». Je cherche à comprendre la subtilité de l’allusion. Nous continuons notre promenade dans son vignoble. « Je suis tombé dans le vin quand le mur de Berlin est tombé » poursuit-il. Manuel a bien bourlingué jusqu’à la chute du mur de Berlin en novembre 1989. 

Avant, c’était la culture des fruits. Christian, son paternel, cultivait les cassis, framboises et groseilles avec un certain succès. Il employait 5 salariés à la fin des années 80. La chute du mur de Berlin a cependant bousculé le modèle économique de son activité. La France a vu arriver du cassis polonais à un prix 7 fois inférieur à celui produit par l’exploitation familiale. Résultat des courses : Christian a dû se séparer de 3 salariés.  Manuel et son frère aîné sont revenus sur les terres familiales et ont décidé de diversifier les cultures afin de ne pas être dépendants d’un seul type de production. 

Nous remontons dans son véhicule, direction les champs de fruits rouges et noirs qu’il veut absolument me montrer. Son bras s’ouvre largement, il l’étend sur la superficie devant nous. Les hectares sont à perte de vue. Un peu paradoxalement, ce sont ces fruits qui l’ont aidé à garder le domaine à flots dans les moments financiers plus difficiles au niveau viticole. « Sans les fruits, je ne serais pas ici aujourd’hui ».

Retour sur les bancs de l’école

Manuel a vite compris qu’il devrait suivre des formations s’il voulait professionnaliser son activité naissante. À 25 ans, il est retourné sur les bancs de l’école tant détestée pour décrocher en deux ans un BEP (brevet d’études professionnelles) en alternance au Lycée viticole de Beaune. Il avait déjà planté des milliers de pieds de vigne et a donc combiné les travaux dans la vigne et sa formation. Quand la motivation est là, tout va mieux.

Il a ensuite suivi une formation en œnologie à la Fac de Dijon car Manuel avait bien saisi aussi toute la magie de la vinification et ne voulait pas dépendre d’un œnologue extérieur. De fait, il devait immanquablement acquérir certaines notions techniques pour comprendre la chimie du vin et maîtriser sa fabrication.

Nous rentrons au domaine, direction le chai où les fûts de chêne côtoient les cuves en inox. « En début de vinification, je me trouve devant une page blanche chaque année. C’est tout simplement excitant comme perspective ». Ses yeux pétillent.

Manuel est un paysan au sens noble du terme

« Et tu es fier de quoi ? ». La question est directe. Je suis cash. Son regard part un peu dans le vide, son sourire se crispe légèrement. « Je ne suis pas quelqu’un de bien fier » bredouille-t-il. Puis, il marque un long temps d’arrêt. Il se ravise et devient prolixe. Il est fier de s’être réalisé tout seul, à force de travail, d’abnégation et d’entêtement. Aujourd’hui, il est en charge d’un domaine qui emploie 15 personnes à temps plein. Son visage s’enflamme. La fierté est là, indubitablement.

Il a déjà réfléchi à la pérennité de son entreprise en incluant deux de ses employés actuels dans la structure financière de son domaine. Il imagine quitter les commandes dans une petite dizaine d’années tout en gardant une participation minoritaire. « Oh, je pourrais vendre le domaine facilement et me remplir les poches. Ce n’est pas ma vision des choses. Je veux transmettre mes valeurs et mon savoir-faire ». Manuel reste donc un paysan, au sens noble du terme.

Ses premiers clients étaient belges

Nous sommes maintenant dans le caveau de dégustation. Nous sommes perchés sur de hauts tabourets. Sur le tonneau qui sert de table, j’ai déposé deux bouteilles de bière trappiste et deux grands verres appropriés. Manuel jubile : « si tu me prends par les sentiments, on va devenir copains ». Il a une longue histoire d’amour avec la Belgique. Ce sont des belges qui ont acheté les premières bouteilles qu’il a produites. La commune de Nuits-Saint-Georges est en effet jumelée avec Tamines, une commune de l’entité de Sambreville. Aujourd’hui, le domaine a cessé de participer à des foires de vignerons en France ; il se limite désormais à la Belgique. Il est encore présent à Jurbise, Marche-en-Famenne, Saint-Gilles et Tertre. C’est sa manière à lui de dire merci aux belges qui l’ont soutenu dès ses débuts et qui continuent à acheter ses bouteilles avec une fidélité inébranlable.

Qu’aurait-il fait autrement ?

« Y a-t-il un trou dans ta vie ? ». Manuel est lucide par rapport à ses échecs, personnels et professionnels. Il a eu 50 ans au mois d’avril 2022. Il est papa de deux filles (Maëlle a 16 ans et Romane à peine 2) mais sa relation avec la gent féminine a été compliquée en raison de son amour pour la viticulture et de son investissement au sein de la profession. Il en est le premier conscient. Il a appris aussi que plus un domaine grandit, plus l’importance du management se fait prégnante. Un viticulteur peut devenir malgré lui chef d’entreprise, sans nécessairement avoir le bagage managérial requis. Les relations avec les banquiers lui laissent un goût amer, celui d’un vin âpre et mal vinifié. Avec le recul, Manuel comprend qu’il aurait dû ouvrir le capital à un investisseur externe il y a bien longtemps, afin de s’éviter des sueurs froides et des déconvenues avec ces gens en costume gris souris.

S’échapper en partageant une bière belge entre amis

Les travaux dans la vigne sont pénibles et chronophages. On dit souvent que le temps, celui des aiguilles de l’horloge, est le pire ennemi des vignerons. Le mauvais temps météorologique aussi, bien sûr. Pour se changer les idées ou faire un break, Manuel n’évoque pas un sport quelconque ou un hobby particulier. Il aime ses amis et a la grande chance de pouvoir se changer les idées en leur compagnie. Autour d’une réjouissante trappiste ou d’une savoureuse bière d’abbaye belge, comme c’est le cas aujourd’hui. C’est un peu bizarre mais Manuel n’est pas le seul vigneron bourguignon à apprécier les bières belges de caractère. Les visiteurs belges étant généreux de nature, ils n’hésitent pas à ravitailler Manuel et ses ouailles en munitions houblonnées lors de leurs visites au domaine.

Parier sur l’appellation Côte de Dijon

En partenariat avec la ville de Dijon, capitale de la Côte d’Or et récemment élue capitale de la gastronomie, il a planté 30 hectares de vigne sur les hauteurs de la ville. Jadis, il y avait des parcelles mais l’urbanisation de la ville a contribué à la destruction du vignoble dijonnais. Aujourd’hui, il est en pleine reconstruction. Grâce à Manuel, notamment. L’appellation ‘Côte de Dijon’ est en cours d’agrément auprès des autorités de l’INAO (le gendarme français qui contrôle le système des appellations en France). Manuel est tourné vers l’avenir. Le bouquetin cinquantenaire va encore gambader sur les côteaux pentus des Hautes Côtes de Nuits et continuera à partager son savoir et ses valeurs.

Domaine Manuel Olivier
7 Rue des Grandes Vignes
21700 Nuits-Saint-Georges
France
Vindebourgogne-manuel-olivier.com
Vente en direct : Les clients sont reçus au domaine avec le sourire. La dégustation est précédée d’une visite commentée. Les visiteurs peuvent acheter les vins en direct à la propriété.