La 9ème[1] de Ludwig van, l’envolée des chœurs en mouvement cathartique, la joie pure exprimée, l’ode à l’union, à la fraternité, à la liberté.

C’est cela, exactement, que nous voulons entendre aujourd’hui.

La pâleur délicate d’un marbre de Michel-Ange, le reflet métallique et scintillant de la lune sur la mer apaisée. L’orbe fragile et parfait d’un visage féminin, la poésie d’un clair-obscur de Rembrandt. La piazza Navona, à Rome, en harmonie divine, célébrant le génie humain. Le regard embrumé d’un enfant au réveil. Toute la beauté du monde.

C’est cela, exactement, que nous voulons voir aujourd’hui.

Les crus de Montalcino, les romanées de Bourgogne, les vins des Papes, le petit blanc glacé d’été. La bière, de celle qui coule à flot, ou de moines, riche et enivrante. Les poulardes de la Sarthe, les foies gras de Navarre ou du Gers, la pasta d’Italie. Les bars de ligne, les langoustes des mers tropicales. La gardianne de taureau, à Nîmes, pendant la feria.

C’est cela, exactement, que nous voulons boire, et manger, aujourd’hui.

Parce que le monde tourne fou, parce que l’aigreur de l’époque nous étiole et nous meurtrit. Epoque de rancœur, d’intolérance et de rejet. Epoque de petitesse, époque de rien.

La maigreur de cette époque porte aussi le nom d’hygiénisme. C’est le moment des « sans ». Sans gluten, sans graisse, sans sucre, sans goût. Gare aux allergies, aux maladies. Pour être en bonne santé, vivons piteux. Soyons « vegan », le végétarisme ne suffit pas.

Et l’alcool. Satan. Sans nuance.

Epoque d’inculture où l’on mêle tradition séculaire et infiniment délicate du vin, et bitures analphabètes à grandes gorgées de spiritueux synthétiques.

Tiens, abstenons-nous. Pendant un mois. On appellera ça finement « Tournée minérale ». On ne résoudra rien, en tous cas pas l’alcoolisme, ce n’est pas si simple, mais on « communiquera ». C’est essentiel, la communication, il ne reste même plus que ça. Et à la fin du mois, on recommencera. Hygiénisme strict, donc, et habilement troussé à renfort de manipulation des codes sociaux. A lire, à ce sujet, l’excellent papier de Fabrizio Bucella dans le Huffington Post.

Et partout, systématiquement, l’époque oublie le plaisir.

Nous avons un besoin urgent de bombance, de banquet et de ripaille. Un désir impérieux de rigolade et d’ivresse. Nous voulons des fêtes de villages et des kermesses. Qu’a fait la Belgique de son Breughel ?

Qu’a fait le monde de la 9ème ?

Le diable soit de tous les pisse-vinaigre, les racornis, les rikiki et les flétris.

Allons, l’hymne à la joie ! Oubliez vos fers, vos entraves, oubliez cette culpabilité impropre : vivez, aimez, riez, buvez, mangez !

[1] A écouter, la version de Josef Krips avec le London Symphony Orchestra, terriblement émouvante.