Il y a quelques jours, mon ami Éric Boschman publiait une petite réflexion sur les causes possibles de la crise que traverse l’industrie du vin. Son invitation à revenir au plaisir simple et spontané du vin est certainement justifiée, mais j’ai tendance à regarder les choses autrement : fluter du pinard en toute convivialité est un divertissement parmi tant d’autres. Et face à l’offre croissante et sans cesse renouvelée de loisirs, le vin boit la tasse, tout simplement.

De plus, se mettre une mine entre potes est nettement moins bien valorisé socialement qu’assister au concert d’un vieux groupe de rock, qu’une session de kitesurf ou une escapade à Tomorrowland. Autrefois, lorsque l’ivresse était socialement tolérée, les gens biens s’enivraient de vin — boisson noble qui offrait l’alibi de la dégustation. Aujourd’hui, on satisfait son besoin d’expérience à travers toute sorte d’autres loisirs : sport, spectacles, jeux en ligne, séries à la demande, et j’en passe. Résultat ? Il y a tellement d’autres options que le vin pour s’amuser.

Le vin est un divertissement, pas une boisson

J’ai longtemps adhéré à l’idée de Eric selon laquelle le vin est une boisson. Mais je me permets de retourner ma veste. Le vin se boit, ok, à ce titre c’est une boisson, mais il ne désaltère pas, au contraire, il donne soif. Mais on ne boit pas du vin pour se désaltérer mais bien pour passer un bon moment, pour s’amuser, pour vivre une expérience divertissante alimentée par le plaisir du goût, de l’histoire, du voyage imaginaire, et de l’ivresse. A ce titre, je pense que le vin fait partie du l’industrie du divertissement et pas de l’industrie agro-alimentaire. Et cela explique probablement pourquoi tous les efforts marketing observés ces dernières années ne servent à rien.

A la réflexion, je pense que Eric évolue d’avantage dans l’industrie du divertissement (radio, théâtre, chronique, émissions de variété) et que dans l’industrie du vin, même s’il intègre le thème du vin dans son offre de loisir.

Depuis l’an 2000 …

Depuis des siècles, le vin occupe une place centrale dans la culture belge et française. Consommé lors des repas ou pour des occasions festives, il a longtemps été perçu comme un symbole de convivialité et d’art de vivre. Pourtant, depuis les années 2000, les habitudes de consommation évoluent : le vin n’échappe pas aux transformations sociétales. Cet article explore l’idée que la consommation de vin est en baisse, non seulement en raison des changements culturels ou sanitaires, mais parce qu’elle entre en concurrence directe avec une offre croissante et diversifiée de divertissements.

Un budget loisirs redéfini : le vin face à une concurrence féroce

Depuis les années 2000, les dépenses des ménages belges et français se transforment. Si, autrefois, le vin figurait en bonne place dans les moments festifs ou les plaisirs quotidiens, aujourd’hui, son budget se fait grignoter par des offres modernes : abonnements Netflix, escapades en réalité virtuelle, méga concerts, Tomorrowland, citytrips aux 4 coins du monde, bières artisanales ou cocktails « instagrammables ».

Les nouvelles normes sociales : l’ivresse stigmatisée

Il fut un temps où s’enivrer autour d’un bon repas ou dans une soirée mondaine était toléré, voire attendu. Le vin, boisson noble par excellence, servait d’alibi à cette ivresse bienveillante. Mais cette époque semble révolue. Aujourd’hui, l’ivresse, notamment dans les milieux aisés, est perçue comme un écart, une faiblesse, voire un manque de sophistication.

Les cercles bourgeois, qui furent les grands amateurs de vin haut de gamme, valorisent désormais la modération, voire l’abstinence. On y privilégie des styles de vie plus « sains » : yoga, running, alimentation bio, voire sobriété totale.

La génération plus jeune dans ces milieux associe l’alcool à des comportements dépassés, peu compatibles avec l’image qu’ils souhaitent projeter.

Ce changement de perception n’épargne pas les classes plus populaires, mais il est particulièrement marqué chez ceux qui, historiquement, consommaient les grands crus et investissaient massivement dans le vin de qualité. Résultat ? On observe une déconnexion croissante entre le vin et ses anciens ambassadeurs, renforçant l’idée que cette boisson appartient à un autre temps.

Moins souvent, mais mieux : le vin devient un luxe occasionnel

Alors que l’ivresse conviviale du vin s’efface peu à peu, un autre phénomène se dessine : consommer moins, mais mieux. Les amateurs de vin se tournent vers des bouteilles de qualité, choisies pour des occasions particulières.

Cette approche qualitative redéfinit le vin comme un produit de prestige, loin du simple « plaisir du quotidien » qu’il incarnait autrefois.

Conclusion : le vin à l’épreuve des temps modernes

Le vin, ce symbole intemporel de convivialité, lutte pour sa place dans un monde qui ne cesse de réinventer les loisirs. Face à une société où chaque minute de temps libre est monétisée et optimisée, la bouteille de rouge à partager entre amis fait figure de vestige romantique. Certes, la qualité prime désormais sur la quantité, mais cela ne suffit pas à freiner le déplacement des dépenses vers d’autres plaisirs.

Le défi pour l’industrie est clair : réenchanter le vin en tant qu’expérience, le rendre compétitif dans un univers saturé d’options divertissantes. Car si on ne trinque plus pour le plaisir, alors à quoi bon trinquer ?