En marche vers Brooklyn, via le City Hall et le Brooklyn Bridge.
Il est déjà midi et la chaleur devient intense. Nous sommes en avril, c’est la première semaine de beau temps de l’année. Il fait 27° Celsius, soit 80,6° Farenheit, merci Wikipedia, je n’ai à l’heure où j’écris toujours pas retenu la règle de conversion : °F =( °C x 1,8 ) + 32. Inutile complication qui me donne perversement encore plus chaud. Nous arrivons au parvis de l’Hôtel de Ville, le City Hall qui me rappelle le film éponyme d’Harold Becker avec Pacino et, un peu plus loin, au Brooklyn Bridge. De là, j’aperçois son parallèle, le Manhattan Bridge, dont le dessin est gravé pour toujours dans l’imaginaire collectif par Sergio Leone. J’entends un téléphone qui sonne interminablement dans le vide, j’entends le cri désespéré d’un gamin qui hurle « Noodles ! Noodles ! » à travers la fumée des bouches d’égouts. Il va crever sur le pavé, on l’a assassiné, il a dix ans, il meurt dans les bras de son ami à peine plus âgé ; la destinée de Noodles/De Niro commence là et traversera le XXème siècle. « Il était une fois en Amérique », pilier porteur de ma cinéphilie et, en l’occurrence, jolie madeleine un peu nostalgique.
Au-dessus des voies de circulation du pont de Brooklyn courent une piste cyclable et une allée piétonne, envahies pour l’heure d’une foule moutonnière que nous suivons docilement. Nous voulons voir Manhattan de l’autre rive de l’East River. Du pont, déjà, la vue est d’autant plus belle qu’elle se profile à travers les câbles, offrant une profondeur de champ spectaculaire et vertigineuse. A vrai dire, le spectacle est partout, ici, tout est image, tout est cadre et nuances de couleurs. Lors de mon précédent voyage aux USA, j’avais adoré le pays au moins parce qu’il faisait rentrer le cinéma dans mon existence. Fou de fiction, j’étais prêt à vivre ici par pur désir d’échapper à la réalité. Que je pose les yeux sur le Grand Canyon, sur Sunset Boulevard, sur l’Empire State ou plus simplement sur une bagnole de flics, sur un yellow cab ou sur un escalier de Soho, je voyais aussi Gene Hackman, Cary Grant, Natalie Wood ou King Kong. Je les convoquais tous au grand conciliabule de mon imagination.
Retour sur le pont. Je mets ma casquette grise de gavroche, comme un gosse des rues, j’aime l’idée de jouer à l’artiste frenchie parmi les Japonais, les Américains et les Russes à crème solaire, banane et sac à dos ; en vérité, c’est le soleil qui commence à faire frire les touristes sur l’asphalte et mon crâne nu n’y résiste pas plus. La traversée est longue et je me prends à rêver d’une bière glacée. Je me retourne, les autres suivent, pressés de retrouver un peu d’ombre. Il faut prendre garde, les cyclistes jouent frénétiquement de leurs sonnettes, ils ne réduisent pas l’allure et frôlent acrobatiquement les piétons distraits. Enfin, le long arc du tablier se fait descendant et nous parvenons assoiffés à l’abri des premières piles, de l’autre côté de la rivière.
Notre but : Grimaldi’s, adresse incontournable de Brooklyn où nous comptons bien déjeuner d’une des meilleures pizzas de New York. Las, le lieu est assailli, la queue devant la porte est interminable. Theo et Marius défaillent. J’interroge Olivier du regard, je vois dans son œil une chope immense et embuée, j’acquiesce, je comprends mille fois. A côté du Grimaldi’s, le 7 Old Fulton, presque désert en comparaison, mais malheureusement pas sans raison. Je vous conseille d’éviter l’endroit, nourriture inepte et service au diapason, mais l’American Ale de la Brooklyn Brewery nous a semblé le plus merveilleux des breuvages.
Ce soir, nous dînerons chez Katz et, croyez-moi, ce sera une autre affaire.
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