Vous êtes vraisemblablement en train de songer au prochain menu de Noël, ou du réveillon de Nouvel An. Jean-Marc a déjà dit qu’il amènerait du poisson pour l’entrée tandis que Manon vous a annoncé qu’elle connaissait un super fromager. De votre côté, vous avez pensé à une belle dinde bien dodue mais la préparation sera tout à fait originale.
Tout cela a l’air bien joli mais vous vous grattez les cheveux … Quels vins servir avec ces mets appétissants ? Et si nous approchions les prochains repas festifs sous l’angle de la nouveauté, de l’originalité ?
Vous téléphonez à Jean-Marc : « si tu mets la main sur des filets de Haddock fumé, je vais proposer un vin improbable mais renversant. Pas un Sancerre, ni un Pouilly-fumé, hein ».
Dans votre tête, votre nez, votre palais, vous imaginez déjà des associations ‘mets-vins’ un peu saugrenues mais qui marqueront sans aucun doute les esprits … et la mémoire olfactive de vos convives.
La dinde rôtie, vous la voyez déjà sortir du four, la peau qui craquèle. Vous l’avez assaisonnée de quelques épices orientales (du cumin, du curcuma, un peu de cannelle). C’est devenu une volaille qui parle une langue différente. Pour accompagnement : du riz pilaf aux fruits secs.
Manon propose, à son tour, de sortir des sentiers battus et d’apporter des fromages ‘de-la-mort-qui-tue’ (c’est son expression à elle). Avec un petit sourire en coin, vous lui répondez que vous avez des munitions en bouteille pour contrer la mort, ou plutôt célébrer la vie.
Vous écrivez en grand sur la porte de votre maison : soyons doux, soyons naturels ! Vive les VDN (un peu de mystère, c’est bien).
VDN = Vins Doux Naturels
En guise d’apéritif, voici quelques informations intéressantes et aussi … amusantes sur les VDN. Les Vins Doux Naturels font partie de la famille des vins mutés, comme le Porto par exemple. Vins mutés ? Késako ? Les vins mutés sont des vins dont la fermentation alcoolique est bloquée par l’ajout d’alcool (de l’eau-de-vie pour les portos, de l’alcool vinique neutre à 96 % pour les VDN). Pour info, la fermentation alcoolique consiste en la transformation du sucre des raisins en alcool sous l’action des levures.
Après le mutage, le viticulteur dispose donc d’un vin avec une quantité élevée de sucres résiduels et un degré d’alcool supérieur également. Tout l’art du vigneron réside dans le timing de l’opération. L’ajout d’alcool doit se faire à un moment extrêmement précis en fonction d’analyses sur l’évolution de la fermentation alcoolique … et du style du vin recherché. Un vigneron m’a même dit que les manipulations relatives au mutage pouvaient intervenir au milieu de la nuit.
Le Roussillon, la route des vacances
Vous voyez où se trouve le Roussillon ? La région que nous longeons sur l’autoroute A9 avant d’entrer en Catalogne. C’est dans le Roussillon que sont produits environ 80 % des VDN en France. Parmi les VDN produits dans le Roussillon, il y a quatre Appellations d’Origine Protégée majeures : le Banyuls, le Rivesaltes, le Maury et aussi le Muscat de Rivesaltes (moins corpulent). Ces AOP utilisent les mêmes cépages (parmi ceux-ci figurent le Grenache noir et le Carignan pour les vins rouges et rosés, le Grenache blanc, le Grenache gris, le Macabeo, la Malvoisie du Roussillon, le Muscat d’Alexandrie et le Muscat Petits grains, pour les vins blancs).
L’origine du terme ‘mutage’ se trouve dans la langue catalane, langue toujours parlée dans le Roussillon. Lorsque le vin entre dans sa phase de fermentation alcoolique, il se met à gargouiller, à faire du bruit. Lorsque l’alcool est ajouté, la fermentation alcoolique est stoppée net et le vin devient ‘muet’. Muet se dit ‘mut’ en catalan. Muté, mutant, … mutons lors de ces fêtes à venir.
Une autre info amusante ? Certains vins commencent leur élevage dans des bonbonnes en verre à l’air libre pour bénéficier d’une forte exposition aux rayons du soleil pendant plusieurs mois (la température peut atteindre jusqu’à 60 degrés à l’intérieur des bonbonnes) ; ils poursuivent ensuite généralement leur élevage en bouteille ou en fûts. Chose inhabituelle : les bouteilles sont conservées debout pour la bonne et simple raison que le degré élevé en alcool et en sucre attaquerait le bouchon et compromettrait donc l’affinage du vin. Nous obtenons alors des vins ambrés ou tuilés, en fonction de la couleur initiale du vin. Sachez aussi qu’une bouteille ouverte de VDN se conserve facilement pendant plus de deux semaines au frigo.
Est-ce que cela coûte cher ?
Oui et non. On pourrait estimer qu’une bouteille de vin dont le prix débute à 25 EUR, c’est cher. En revanche, si l’on considère tous les efforts mis en place, la durée de l’élevage, la ‘part des anges’ (la proportion du vin qui s’évapore) qui se chiffre à 2-3 % en moyenne sur base annuelle, le rendement à l’hectare (moins de la moitié par rapport à des appellations moins prestigieuses de la région), c’est franchement très bon marché. Et je n’ai pas encore évoqué les indicibles plaisirs et sensations que les VDN procurent.
Accords mets-vins : soyons fous !
J’ai eu la chance de participer à Lille à la fin novembre à un repas gastronomique accompagné uniquement de vieux millésimes de Vins Doux Naturels. Le défi était de taille mais fut remporté avec brio par l’équipe du restaurant ‘La Laiterie’.
D’un point de vue aromatique, ces vins sont des bombes atomiques. Avec l’énorme avantage, que l’on reste en vie et surtout, … qu’une forme d’émerveillement vient se dessiner sur notre visage.
L’exercice peut sembler un peu dingue mais l’expérience olfactive et gustative vous fera tomber de votre chaise. Certains d’entre vous savent déjà que les VDN peuvent très bien accompagner les desserts à base de chocolat (avec un pourcentage élevé de cacao). Le mariage avec les fromages persillés est peut-être un peu moins connu mais fonctionne très bien, à l’image du Sauternes avec un Roquefort. Mais bon, allons plus loin dans notre voyage au bout de cette nuit festive.
Le réveillon 2021
Qui oserait servir du haddock fumé avec un Rivesaltes ambré de 2008 ? Le chef Edouard Chouteau du restaurant ‘La Laiterie’ a relevé le défi et le résultat fut totalement bluffant. Le haddock fumé était relevé avec de la chicorée, des oignons fumés et de l’ail noir. Le côté fumé du poisson, renforcé par le moelleux des oignons, trouve dans un vieux Rivesaltes un superbe compagnon de route. L’ail noir entre à son tour en collision avec la sucrosité du vin et nous en sortons abasourdis, avec tous nos sens en alerte.
La dinde est muette quand elle sort du four mais la croûte craquante allume notre regard et les effluves orientales viennent nous chatouiller le nez. À table, les couleurs se marient à merveille : les teintes dorées de la dinde commencent un match de tennis avec la couleur ambrée du vin. Avec la première gorgée de Rivesaltes, nous sommes bousculés dans nos certitudes. Les épices orientales de la dinde et sa chaire renvoient aux arômes entêtants du vieux Rivesaltes : caramel, noix de cajou, figues séchées : nous tombons à la renverse. Les convives sourient. Et nous aussi.
L’accord avec les fromages est le plus puissant, le plus évident aussi. Manon m’a glissé dans l’oreille qu’elle apporterait un Maroilles un peu affiné. Une bête de concours. Le Rivesaltes ambré dégusté auparavant fonctionne très bien aussi. L’agressivité du Maroilles se fait dompter par la bouche moelleuse du vin, ou est-ce l’inverse ? La chaleur de l’alcool aide aussi le vin à se ‘rebeller’ contre la texture légèrement compacte du fromage. Notre palais s’enchante et les sensations nous traversent tout le corps.
Manon, Jean-Marc, où êtes-vous ?
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